La Cour de cassation rappelle que la clause de non-recours ne saurait exonérer le bailleur de son obligation essentielle de délivrance. Un arrêt à connaître pour tout professionnel du bail commercial.
1. Les faits et la procédure : un litige ancien aux multiples rebondissements
Le locataire de bureaux appartenant à une société, avait alerté dès 2009 sur des désordres affectant les locaux (infiltrations d’eau). Une expertise judiciaire avait été ordonnée, mais le bail a été résilié par congé en 2010.
En 2011, le bailleur a assigné la locataire en paiement de loyers impayés, d’une clause pénale et de réparations locatives. DoubleTrade, de son côté, a formé une demande reconventionnelle d’indemnisation pour manquement à l’obligation de délivrance.
Après un parcours judiciaire complexe (expertise, assignation, appels, pourvois), la Cour de cassation casse partiellement l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 23 février 2023, en jugeant que cette dernière a méconnu la portée des articles 1719 et 1720 du Code civil.
2. L’enjeu juridique : la portée d’une clause de non-recours dans un bail commercial
L’article 6.3 du bail stipulait que le preneur renonçait à tout recours contre le bailleur et son assureur, notamment en cas de privation de jouissance ou de détérioration du local.
La cour d’appel a considéré que cette clause valait renonciation à toute indemnisation, même pour manquement du bailleur à son obligation de délivrance.
La Cour de cassation, au contraire, rappelle un principe fondamental :
“Une clause de non-recours, qui n’a pas pour objet de mettre à la charge du preneur certains travaux d’entretien ou de réparation, ne peut avoir pour effet d’exonérer le bailleur de son obligation de délivrance.”
Elle ajoute que cette obligation ne peut être neutralisée par une clause contractuelle, même clairement formulée.
3. Portée pratique de l’arrêt pour les praticiens du droit immobilier
Cet arrêt est essentiel pour les avocats, gestionnaires d’actifs, bailleurs institutionnels et syndics :
-
Les clauses de non-recours, pourtant fréquentes dans les baux commerciaux, ne peuvent exclure les obligations légales d’ordre public du bailleur.
-
Il est désormais clair que l’obligation de délivrance est impérative : elle comprend l’état d’entretien et l’aptitude du local à l’usage convenu.
-
Le bailleur reste responsable des désordres affectant la jouissance du preneur, nonobstant toute clause contractuelle contraire.
Par ailleurs, la cassation de la clause pénale (120 231 € TTC) découle logiquement de l’illégalité de l’exclusion de responsabilité. L’ensemble du raisonnement économique du jugement de la cour d’appel s’en trouve affecté.
4. Ce qu’il faut retenir
➡️ Une clause de non-recours ne protège pas un bailleur contre un manquement à l’obligation de délivrance.
Cet arrêt constitue une clarification bienvenue dans une jurisprudence parfois ambivalente. Il renforce la protection du preneur contre des clauses contractuelles qui tenteraient d’éluder des obligations essentielles.
⚖️ Pour les clients du cabinet
Notre cabinet intègre cette évolution jurisprudentielle dans l’analyse des baux commerciaux et peut :
-
Auditer les clauses de vos contrats pour vérifier leur validité et leur portée,
-
Vous assister en contentieux locatif, notamment en cas de troubles de jouissance ou de désordres,
-
Réviser vos modèles de bail à la lumière des nouvelles exigences jurisprudentielles.